L’astrologue Louise Haley est décédée à 81 ans dans la solitude.
« Je vais me souvenir de son humour, de sa flamboyance, de son caractère et de son souhait d’être reconnue », résume la préposée aux bénéficiaires assise en face de moi, dans un café de la Promenade Masson.
Pénélope Hardy et ses consœurs ont vécu les derniers moments de Louise Haley – alias Madame Minou –, morte le 31 janvier dernier dans la ressource d’hébergement où elles travaillent.
L’astrologue, qui avait connu ses heures de gloire dans les années 1980, est devenue un symbole de la voyance au Québec, en plus de tenir durant plus de 20 ans une chronique dans le magazine Allô Vedettes.
La légende veut qu’elle ait même prophétisé à René Angélil le succès de Céline Dion.
Bref, la dame s’est éteinte à 81 ans dans sa chambre au deuxième étage du CHSLD Benjamin-Victor-Rousselot, dans l’est de la Ville, où elle habitait depuis juin dernier.
En quelques mois, cette verbomotrice a réussi à y faire sa marque, partageant son amour incommensurable des chats et laissant un souvenir indélébile aux préposées qui prenaient soin d’elle.
Mais surtout, elle est morte dans une solitude extrême, aveugle et amputée d’une jambe dû à son diabète sévère.
La comète Haley
C’est dans l’espoir de laisser une trace (du moins virtuelle) de son passage terrestre que Pénélope m’a contacté, via Facebook.
« Je ne connais pas les règles, quand il y a un décès, mais si dans quelques jours son décès n’est pas annoncé, elle aurait aimé que quelqu’un le fasse, parce qu’elle a aimé exister », m’a écrit la préposée, après avoir retracé un article – le dernier qui l’évoquait directement – que j’avais rédigé pour le compte de La Presse.
Avec ma collègue Ninon, on avait passé du temps au Chez-nous des artistes, une maison de retraite pour anciennes gloires située dans l’est de la métropole.
Tous les deux, nous avions été charmés par cette femme s’exprimant avec aplomb, qui nous avait présenté son « mari », un chat nommé Jupiter Amour Nounours.
À l’époque, j’avais relevé l’ironie de constater que la célèbre voyante était désormais pratiquement aveugle. Rien, toutefois, pour l’empêcher de nous prédire plein de succès à cause de l’alignement des planètes et un gros changement dans ma vie (j’ai changé de job peu de temps après).
« Miaou! », avait-elle lancé en guise d’au revoir.
La vie après Madame Minou
Pénélope Hardy sait exactement de quoi je parle. « Elle disait toujours “miaou” et ajoutait le mot “chat” à chaque fin de phrase. Par exemple, elle voulait du yogourt de chat, une brosse à cheveux de chat, enfiler sa robe de chat, etc. Dernièrement, elle parlait de son rêve d’avoir un bébé tigre », raconte la préposée, un sourire estampé au visage.
« Mais ce qu’elle aimait par-dessus tout, c’était de bercer son chat en lui chantant des chansons », ajoute-t-elle.
Devant une pile de feuilles où elle a griffonné quelques notes en guise d’aide-mémoire, Pénélope admet que ça lui fait bizarre de ne plus s’occuper de Madame Minou. « Ce matin, je pensais encore à la préparer. Dans le jargon, on dit “faire quelqu’un” ».
Quand elle « faisait » Mme Haley, elle lui donnait le bain ou l’installait dans son fauteuil, près de son téléphone, objet de la plus haute importance pour l’astrologue qui a donné des consultations jusqu’en 2023.
Ses prédictions de la semaine, assurément générées par ordinateur ou en direct de l’au-delà, sont même encore disponibles sur le site de Médium Québec.
« Elle était fière de son parcours, des gens qu’elle avait rencontrés et des événements qu’elle avait prédits. Elle me demandait ma date de fête tous les matins, en comptant sur ses doigts pour me dire mon signe chinois et me répétait souvent : “Toi, je t’aime”. On avait nos insides. »
Entourée de collègues d’origines haïtiennes, indiennes et africaines, Pénélope a été la seule à reconnaître Madame Minou, d’abord à cause de ses livres d’astrologie qui traînaient sur le bureau de sa chambre, mais aussi à cause d’une grande peinture d’elle avec un chat.
« Son nom m’était familier. Je suis allée fouiller sur Internet et j’ai retrouvé ton article et une ancienne entrevue à l’émission Allô Boubou. »
De Madame Minou à Miss Minou
Fait cocasse, le CHSLD hébergeait déjà une « Madame Minou », surnom donné par les préposées à une autre résidente qui appelait tout le monde « minou » depuis des années.
« Une collègue originaire du Burkina Faso s’est donc mise à surnommer Mme Haley “Miss Minou” pour la différencier et tout le monde s’est mis à l’imiter », souligne Pénélope.
Cette ancienne employée en comptabilité est devenue préposée il y a quatre ans, après avoir répondu à l’appel lorsque le gouvernement Legault a ouvert une formation express pour répondre aux besoins criants durant la pandémie. « Je me suis reconnue là-dedans. J’ai le tour avec les résidents, je m’intéresse à eux et je trouve que les personnes âgées ont toutes des histoires incroyables », affirme celle qui s’efforce d’insuffler un peu d’humanité dans un milieu souvent dépeint de manière négative dans les médias.
Pénélope Hardy jugeait important de rendre hommage à Madame Minou, selon ses vœux.
La bienveillance est palpable chez Pénélope Hardy, derrière l’initiative d’offrir à Madame Minou un dernier tour de piste. Une démarche personnelle, puisque le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal a même refusé de me confirmer le décès de Mme Haley, invoquant la confidentialité du statut de ses patients.
Seule, mais jamais plaignarde
Mais bon, à moins d’une arnaque qui m’échappe, Madame Minou est belle et bien morte le 31 janvier dernier, au milieu de l’après-midi. Pénélope Hardy était sur le plancher à ce moment-là.
« Elle avait dépéri pas mal en deux jours. Le matin, elle m’a demandé des biscuits, mais elle n’avait pas faim pour le dîner. “Je ne me sens pas bien” ont été ses dernières paroles », rapporte la préposée, qui a posé la main sur son cœur trente minutes après le décès de sa patiente, alors que la vie « crépitait » encore un peu.
Louise Haley n’avait apparemment plus de famille. Son fils unique serait décédé d’un cancer il y a plusieurs années. Depuis, ses seules visites étaient celles d’une ancienne cliente, devenue une amie au fil du temps.
Même si elle a fini sa vie en solitaire, Madame Minou ne se plaignait jamais de son sort et aimait se mêler aux conversations autour d’elle. « Elle parlait du passé, de ses voyages, des pays où elle a vécu, de sa recette de soupe aux légumes, récitait des poèmes (elle faisait même du slam) et nous remerciait tout le temps. »
Elle disait aussi qu’elle aimerait avoir un beau jeune médecin pour s’occuper d’elle avant de mourir, ajoute Pénélope en riant.
Madame Minou n’avait pas peur de la mort. Elle avait même une réponse toute prête, lorsque la préposée lui avait demandé si elle souhaitait laisser un message après son décès « dans longtemps ».
Dans son lit où elle penchait toujours vers la gauche, lui méritant les taquineries de Pénélope sur sa condition de « gauchiste », Louise Haley avait répondu simplement :
« Prenez soin des chats, des enfants, des itinérants et des proches aidants. »
Nationaliste jusqu’au bout
En plus d’aimer se mêler des conversations, Madame Minou se tenait informée des actualités. Le sort des enfants en proie à la famine la préoccupait particulièrement, la guerre en Ukraine aussi. Dans ses derniers jours, elle critiquait énormément Donald Trump, mentionne Pénélope. « Elle était très nationaliste et disait qu’on aurait eu moins de problèmes si on s’était séparés avant. »
L’astrologie a aussi fait partie d’elle jusqu’au bout. « Pendant les Jeux olympiques, cet été, elle avait vraiment peur qu’il arrive quelque chose », se souvient Pénélope Hardy.
La préposée chérira longtemps le souvenir de sa dernière sortie avec Madame Minou pour sa fête, en octobre dernier. « On était dans la cour arrière, il faisait beau, avec le bruit des oiseaux et les arbres. Elle avait l’air bien, dans sa chaise, le visage incliné vers le soleil », raconte, émue, Pénélope.
Celle-ci lui avait alors demandé :
–Qu’est-ce que vous faites?
–Je suis bien avec l’univers.
Pénélope lui a alors récité un poème de Maurice Carême, qu’elle avait trouvé la veille sur le web.
Le chat ouvrit les yeux
Le soleil y entra
Le chat ferma les yeux
Le soleil y resta
Voilà pourquoi le soir
Quand le chat se réveille
J’aperçois dans le noir
Deux morceaux de soleil.
« Le lendemain, elle savait presque le poème par cœur, même si elle me demandait encore ma date de fête », laisse tomber Pénélope, avant de quitter le café pour son quart de travail.
Un autre sans devoir « faire Madame Minou », probablement partie profiter de ses huit prochaines vies au paradis des chats. « J’espère vraiment qu’elle sera avec des milliers de minous, qu’elle pourra tous les bercer et leur chanter des chansons. »