Par Jacques Tondreau, chercheur[1]
La mauvaise presse qui est souvent faite à l’astrologie dans les médias affecte l’image que se font d’eux-mêmes les astrologues et la perception que peut en avoir la population. Il est encore courant de lire que les astrologues tentent de tirer profit de la crédulité des gens et que l’astrologie relève de la charlatanerie, de l’escroquerie, de l’irrationalité ou de la pseudoscience.
Toutefois, pour quiconque regarde de plus près ce que font les astrologues d’expérience, on constate aisément le sérieux de leur démarche. Afin de promouvoir à la fois une identité en rapport avec leur travail et une image de l’astrologie plus positives, nombre d’astrologues se qualifient comme des professionnels. Est-ce une bonne solution ?
Une sociologue dans l’univers des astrologues
Pour répondre à cette interrogation, je vous invite à jeter un coup d’œil aux conclusions d’une thèse de doctorat qui a fouillé le sujet[2]. Produite en 2020 par la sociologue Lisa M. Lipscomb, à la New School for Social Research de New York, cette thèse a pour titre On the Cusp of Legitimacy : Professionnalization of the Field of Astrology (Au seuil de la légitimité : la professionnalisation de l’astrologie)[3].
Lipscomb s’intéresse à la professionnalisation des métiers plus marginaux dans nos sociétés à forte rationalité scientifique, comme la chiropratique, l’acupuncture et l’astrologie. Elle se demande ce que font les astrologues qui souhaitent se professionnaliser et quelles stratégies utilisent-ils pour y arriver ? Pourquoi ne réussissent-ils pas à le faire alors que la chiropratique et l’acupuncture y sont parvenues ? Pour répondre à ces questions, l’auteure s’est intéressée aux programmes de formation, à la certification des diplômes en astrologie et aux balises éthiques promues par les associations d’astrologues; tous ces éléments font partie des stratégies pour faire évoluer une pratique vers le statut de profession.
Dans son analyse, un sociologue ne peut faire abstraction des techniques et outils utilisés par l’astrologue lui-même sous peine de passer à côté de l’essentiel. Le grand historien médiéviste Jean-Patrice Boudet est affirmatif sur cette question en parlant de l’astrologie : « si vous n’entrez pas dans la technique, vous ne pouvez pas démontrer quoi que ce soit de sérieux »[4]. Pour sa recherche (et disons par intérêt personnel aussi), Lipscomb s’est plongée dans le monde de l’astrologie en assistant à des conférences, en suivant des cours en petits groupes, en devenant membre de deux organisations professionnelles et en menant 40 entretiens approfondis auprès d’astrologues.
Les difficultés de professionnaliser la pratique astrologique
Il y a des résistances à la professionnalisation de la pratique astrologique : elles viennent de l’externe (l’État, les médias, le milieu universitaire ou les scientifiques), mais aussi de l’interne (les conflits larvés entre certains courants en astrologie ou entre ceux qui pratiquent une astrologie dite « sérieuse » et ceux qui font une astrologie dite « de divertissement »).
Chercher à se professionnaliser revient à favoriser l’émergence d’une vision positive de son travail, à en faire une pratique respectée. On pourrait s’attendre à ce que l’ensemble des astrologues aillent en ce sens. Or ils ne souhaitent pas tous une professionnalisation de leur pratique par crainte de perdre le contrôle sur ce qu’ils pensent être l’astrologie et sur ce qu’ils font comme astrologue.
Les différentes perceptions de la pratique astrologique par les astrologues eux-mêmes rendent très difficiles les démarches de professionnalisation. Ainsi, pour les répondants à l’enquête, l’astrologie est soit une occupation, une profession, un métier, une vocation, une science, un art ou un artisanat, ce qui signale un manque de consensus autour d’un projet professionnel qui assurerait une certaine cohésion de la profession d’astrologue. En examinant des cas réussis de professionnalisation, les sociologues ont émis l’hypothèse que cette cohésion et ce consensus étaient des éléments cruciaux pour atteindre l’objectif recherché.
Comme les scientifiques qui renvoient à la marge de la science et de la société la pratique astrologique en la qualifiant de pseudoscience, les astrologues interrogés dans le cadre de cette thèse de doctorat tentent de séparer l’astrologie : 1) de la voyance[5], qu’ils considèrent comme une fraude, 2) des horoscopes dans les journaux ou magazines, que certains qualifient d’« astrologie de divertissement » et 3) des astrologues du « livre de recettes », c’est-à-dire ceux qui utilisent essentiellement des ouvrages d’astrologie de base pour faire des interprétations. En somme, afin de contrer les stéréotypes négatifs et les idées fausses sur l’astrologie, et aussi pour départager le professionnel de l’amateur, les astrologues cherchent à délimiter leur champ de pratique par l’exclusion plutôt que par l’inclusion, ce qui est une démarche courante dans un processus de professionnalisation.
Dans l’enquête de Lipscomb, les astrologues attribuent souvent leur professionnalisme à des traits de caractère distincts et à des expériences personnelles. Ces revendications individuelles ne sont pas toujours en phase avec les stratégies collectives de professionnalisation mises en œuvre par les organisations d’astrologues.
Il n’existe aucune organisation de certification de la qualité des diplômes délivrés par les écoles d’astrologie. La chiropratique et l’acupuncture, qui ont réussi leur professionnalisation en bonne partie[6], limitent l’accès à leur organisation respective aux personnes détenant un diplôme validé par des institutions reconnues, ce qui n’est pas toujours le cas des organisations en astrologie où l’adhésion est plutôt ouverte.
Lipscomb indique que l’astrologie manque d’une base de connaissances claire et cohérente, c’est-à-dire d’un ensemble de techniques et de savoirs assez généraux pour que tous les astrologues s’y reconnaissent et y adhèrent. L’absence d’une telle base contribue à un manque d’accord sur les normes à mettre en œuvre, notamment en ce qui concerne les programmes d’études et les balises éthiques.
Le souhaitable et le possible pour la professionnalisation
En s’appuyant sur les conclusions de la recherche de Lipscomb, il apparaît que la professionnalisation de la pratique astrologique est une arme à double tranchant.
À vouloir pousser trop rapidement dans le sens de la professionnalisation, il pourrait se produire des divisions encore plus profondes que celles déjà existantes entre les courants astrologiques. Le contrôle de la qualité de la formation, l’accès volontairement restreint aux organisations professionnelles et l’imposition de sanctions pour celles et ceux qui ne respectent les normes professionnelles de la pratique pourrait amener nombre d’astrologues à chercher des alternatives en dehors de la professionnalisation.
Une approche douce et lente de la professionnalisation s’avérerait plus pertinente, car elle pourrait favoriser le développement dans la population d’une vision plus positive de l’astrologie et d’une identité professionnelle plus valorisante pour les astrologues eux-mêmes, sans avoir à remuer ciel et terre. Cela ne saurait suffire pour contrer les critiques négatives des sceptiques envers l’astrologie, mais on peut penser qu’une professionnalisation respectueuse des points vue de chacun, basée sur des consensus minimaux, pourrait aider à faire migrer la pratique astrologique de la marge vers le centre de la société, donc vers plus de respect envers cette dernière.
Jacques Tondreau s’intéresse à l’histoire de la pratique astrologique, à son évolution et à sa mise en œuvre en contexte contemporain. Pour question ou commentaire, on peut joindre l’auteur par courriel : jacques.tondreau@gmail.com.
Notes
[1] Version remaniée d’un article paru dans l’Écho d’Hermès (no. 55) à l’été 2022.
[2] Je tiens à remercier Lisa Lipscomb de m’avoir donné accès à sa thèse ainsi que pour ses commentaires sur le présent texte. Plusieurs thèses de doctorat sont publiées chaque année dans différentes universités dont l’objet d’étude est l’astrologie, comme à Oxford, Cambridge, Yale, Université Laval, Université de Montréal, etc.
[3] La thèse n’est pas disponible en ligne. La seule façon de se la procurer est d’écrire directement à l’auteure : lipsl047@newschool.edu.
[4] Boudet, Jean-Patrice (2019), « Astrologie et politique. Entre Moyen Âge et Renaissance », vidéo-conférence (chaîne YouTube), 10 octobre.
[5] Dans le contexte des États-Unis, la voyance a été longtemps criminalisée et a fait l’objet de procès très médiatisés, comme ceux de l’astrologue Evangeline Adams en 1911 et en 1914.
[6] Au Québec, par exemple, il existe un ordre professionnel des chiropraticiens et un ordre professionnel des acupuncteurs. En France un décret régule l’exercice de la chiropraxie (Décret n° 2011-32 du 7 janvier 2011 relatif aux actes et aux conditions d’exercice de la chiropraxie) et l’acupuncture ne peut être exercée légalement que par les médecins et les sages-femmes ayant obtenu un diplôme universitaire délivré par une faculté de médecine.